Le trait d'un peintre
Par Christine Decome (1)

Le langage esthétique de Léo Marchutz, parce que toujours si proche de l'écriture, est difficilement définissable comme peinture ou dessin. Les deux termes peuvent en fait se conjuguer suivant une distinction précieuse différenciant le peintre-dessinateur du dessinateur-peintre.
Tandis que le «peintre-dessinateur» part de la couleur pour définir la forme, le «dessinateur-peintre», lui, soumet toujours la couleur à la sensation première du trait.

Or, c'est par sa maîtrise du trait que Marchutz à pu apprivoiser la couleur: ce sont les valeurs du crayon qui lui dictèrent ses plus belles mises en couleur. Marchutz a résolument un tempérament de dessinateur-peintre.

Les années 1944-53 verront la production d'une foule de dessins à thèmes religieux d'abord très légers, presque invisibles, puis plus affirmés après 1945. Le trait de Léo Marchutz a jailli, magistral, puissant, incisif et servant de la lumière à cette époque.

En 1947 l'artiste choisit de transcrire les vibrations colorées de son trait par le concours du seul crayon lithographique.

De 1952 à 1963 environ, il produit de nombreuses transcriptions lithographiques des rues d'Aix-en-Provence et des vues de Venise notamment. La nouveauté dans la pratique lithographique de Léo Marchutz se situe alors au niveau de la technique du rajout de couleurs: l'opération de mise en couleur se passait en une seule fois, à l'aide de petites roulettes dont les traces laissées pourraient s'apparenter à des touches: c'est l'époque des «touches-trait».

Le trait accouché en 1945 prend le rythme fou et enlevé de brèves spirales ayant une puissante fonction de liaison en même temps qu'une forte valeur chromatique, picturale. Mais la masse est encore trop diluée et ce seront les touches dans le trait qui permettront à Léo Marchutz de trouver le juste équilibre entre énergie lumineuse et énergie de la masse.

Ce n'est qu'en 1964 que Léo Marchutz revient à la matière peinture et toile pour réaliser de grandes compositions à caractère mural copiant les thèmes religieux de ses dessins des années 40 ainsi que le motif Sainte-Victoire dessiné au crayon lithographique. Ses longues suites de Sainte-Victoire ont débuté en 1959-60, se poursuivant sur trois ans; un album venant couronner ce travail magnifique dont on a pu dire qu'il était le plus bel écho du message inscrit dans les aquarelles de Cézanne. Il comprend des lithographies en noir et blanc, en couleurs, des peintures sur papier et une fresque. Concernant les peintures sur papier, Marchutz, suivant un conseil de Jacques Mandebrojt, enduisait son support d'une préparation à la caséine et, plutôt que de la gouache, qui aurait bien adhéré mais qui est fragile parce que sensible à l'hygrométrie, utilisait une peinture à base de caséine également: technique qui fut celle des primitifs au XVIème siècle, avant l'intervention de la peinture à l'huile.

Dès 1966, Marchutz ne travaille plus que sur toile et s'attache à retraduire ses dessins des années 1940 en peinture. Les figures religieuses, présentées ici, reprennent alors toute la nervosité d'un trait jailli en 1944, projeté en l'agrandissant à l'aide d'un épiscope pour être enfin sculpté point après point et rendre tout le volume désiré. Marchutz associe alors la technique du divisionnisme à la sensation première du trait: le trait devient sa toile pour la mise en place de touches colorées, la palette ne dépassant jamais plus de trois couleurs pour une alternance de compositions monochromes et polychromes toujours très fidèles aux valeurs sous-tendues par le crayon initiateur.

(1) Cf. Christine Decome, le Trait de Léo Marchutz, mémoire de maîtrise d'Histoire de l'art, Université de Provence, 1998, 2 tomes.

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